Affaire des charniers de Timișoara

L'affaire des charniers de Timișoara est l'histoire de fausses informations diffusées sur les victimes de la répression du régime communiste de Roumanie dirigé par Nicolae Ceaușescu en décembre 1989, au début de la révolution roumaine de 1989. Une vingtaine de corps de personnes mortes avant le début des événements ont été photographiés et filmés par les médias internationaux, et sur la base de fausses informations propagées notamment par l'agence de presse yougoslave Tanjug, données comme des victimes des forces de sécurité. Une fois la vérité rétablie, cet épisode a déclenché une vive polémique sur l'incapacité de la presse à enquêter de façon professionnelle sur les événements. En France, cet incident a été interprété comme le résultat d'une campagne de désinformation et de manipulation des médias, même si aucun élément matériel n'a jamais permis d'établir que l'exhumation de ce charnier ne soit autre chose que le produit du désordre généré par l'insurrection dans la ville.

Contexte

Sous le régime communiste, la ville de Timișoara (350 000 habitants) était la plaque tournante des passeurs qui, contre rémunération, aidaient les candidats à l'exil à échapper à la dictature à travers la frontière yougoslave. La ville était particulièrement surveillée par la police politique, la Securitate et les garde-frontières, créant une ambiance de terreur et de paranoïa, volontairement entretenue pour dissuader les fuyards.

Alors que le rideau de fer avait commencé à s'ouvrir depuis le 1er janvier 1989 et que le mur de Berlin était tombé le 9 novembre, ce n'est donc pas par hasard que la révolution roumaine commence à Timișoara le 16 décembre 1989 avant de se propager à Bucarest.

Entre le 17 et le 25 décembre, des combats violents éclatent. À Timișoara, plus de 70 personnes sont tuées et 300 autres blessées, dont 253 par balles. On compte 65 morts et 268 blessés pour la seule journée de manifestation du 17 décembre.

Dans la nuit du 18 au 19 décembre, 43 cadavres sont évacués de l'hôpital départemental de Timișoara et incinérés secrètement dans la banlieue de Bucarest, le pouvoir voulant faire passer les disparus pour des « traîtres à la patrie socialiste » ayant passé la frontière yougoslave. Ces disparitions conduisent les familles et les proches des victimes à rechercher partout dans la ville les corps disparus. C'est cette ambiance désespérée et paranoïaque qui poussa les habitants de Timișoara, dans le chaos des événements et des rumeurs contradictoires, à fouiller les jardins publics, les canaux, les terrains vagues et les principaux cimetières, pour finalement exhumer les corps du charnier de la morgue de la rue de Lipova (strada Lipovei) .

Scandale médiatique

Les corps déterrés sont présentés aux journalistes occidentaux autorisés à entrer dans le pays comme ceux des victimes de la répression des jours précédents, avec une estimation des victimes à plusieurs milliers. Les rédactions occidentales provoquent une polémique en accolant les photographies des corps exhumés à la morgue de Timișoara à des informations fantaisistes des médias roumains relayées par l'agence de presse yougoslave Tanjug. Depuis, cette affaire est devenue un cas d'école pour la formation des journalistes pour mettre en garde contre la « chasse au scoop » des médias d'information.

Parmi les chiffres repris par les médias occidentaux, et en particulier français, sans concertation avec les reporters présents sur place, et qui mélangent les sources de Bucarest et de Timișoara :

Ces mêmes allégations et graves approximations sont également reprises par ailleurs :

Dès le 29 décembre, les journalistes de l'AFP estiment que le bilan de 70 000 morts dans toute la Roumanie est probablement très surévalué. L'imposture du charnier ne sera établie que fin janvier.

Le 27 janvier 1990, Colette Braeckman publie Je n'ai rien vu à Timisoara dans les colonnes du Soir, où elle remet en question les images montrées sur les télévisions du monde entier.

C'est le journal Le Figaro qui, dans son édition du 30 janvier, annonce qu'il s'agissait d'un faux, que les morts montrés à la télévision avaient été déterrés du « cimetière des indigents » de la ville. En 2019, on ne sait pas précisément qui est à l'initiative de la tromperie, les journalistes manipulés accusant « ceux qui voulaient renverser le pouvoir ».

Chronologie médiatique

Interprétation

L'affaire semble essentiellement due à une compétition des médias entre eux, chacun reprenant l'information du concurrent en l'amplifiant. Le sociologue Pierre Bourdieu a appelé ce phénomène « la circulation circulaire de l'information ».

Notes et références

  1. .
  2. « Gilles Saussier / diaporama sur les victimes de la révolution roumaine à Timișoara », sur VIMEO, 2010.
  3. Gilles Saussier, Le Tableau de Chasse, Paris-Cherbourg, Le Point du Jour, 2010.
  4. Marianne Rigaux, « Timisoara, le charnier qui n'existait pas », Causette, no 106,‎ décembre 2019, p. 96-97.
  5. Jean-Claude Guillebaud, « Roumanie : qui a menti ? », Le Nouvel Observateur,‎ 5 avril 1990.
  6. Analyse du phénomène sur Acrimed
  7. Le Monde, 24 décembre 1989.
  8. (en) « UPHEAVAL IN THE EAST; Mass Graves Found in Rumania; Relatives of Missing Dig Them Up », The New York Times,‎ 23 décembre 1989 (lire en ligne).
  9. « Timisoara 1989, symbole de la désinformation », sur Le Point, 20 décembre 2019 (consulté le 3 juillet 2020)
  10. Colette Braeckman, « Je n'ai rien vu à Timisoara », Le Soir,‎ 27 janvier 1990 (lire en ligne).
  11. Ignacio Ramonet, « Télévision nécrophile », Le Monde diplomatique,‎ mars 1990 (lire en ligne).
  12. Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d'agir, 1996 (ISBN 9782912107008).

Voir aussi

Articles connexes