Louis Spohr

Louis SpohrFonction
Maître de chapelle de cour (d)
Biographie
Naissance 5 avril 1784
Brunswick
Décès 22 octobre 1859 (à 75 ans)
Cassel
Sépulture Hauptfriedhof Kassel (d)
Nationalité brunswickoise
Activités Compositeur, professeur de musique, violoniste, musicologue, chef d'orchestre, musicien
Période d'activité 1797-1859
Conjoint Marianne Pfeiffer (d) (de 1836 à 1859)
Autres informations
Instrument Violon
Maîtres Franz Eck, Charles Louis Maucourt (d)
Genres artistiques Opéra, symphonie
Distinctions Ordre bavarois de Maximilien pour la science et l'art (1853)
Ordre Pour le Mérite pour les sciences et arts (d)
Ordre Pour le Mérite
Œuvres principales
Faust (d), Nonette, Die letzten Dinge (d), Sonatas, violin, harp, op. 113, D major (d)
Vue de la sépulture.

Louis Spohr, né Ludwig Spohr le 5 avril 1784 à Brunswick dans la principauté de Brunswick-Wolfenbüttel au Nord du Saint-Empire et mort le 22 octobre 1859 à Cassel, est un compositeur, violoniste, chef d'orchestre et pédagogue allemand. Il a toujours signé ses œuvres avec la forme française de son prénom, comme il était courant à l'époque (voir par exemple Beethoven), et c'est comme Louis (et non Ludwig) Spohr qu'il est aujourd'hui mondialement reconnu (contrairement au cas de Beethoven).

Alors qu'il était considéré par ses contemporains l'égal de Haydn, Mozart et Beethoven, la réputation de Spohr a été rétrogradée par la postérité – en raison du maniérisme et des répétitions stylistiques notamment – au même titre que celles de Gluck, Cherubini et Hummel. Son œuvre est prise entre la clarté et le formalisme du classicisme (Figaro de Mozart) et les expérimentations associées au romantisme du XIXe siècle (Tristan de Wagner). La parution du catalogue thématique Göthel au début des années 1980, a marqué un renouveau de l'intérêt musical pour ses œuvres et de sa position historique. Depuis une petite vingtaine d'années, grâce au disque et à la mise en scène de ses opéras, il est possible d'avoir une évaluation plus judicieuse de l'artiste et de son influence sur ses contemporains.

Biographie

photo : maison nataleMaison natale de Spohr. photo : plaque commémorativePlaque commémorative apposée sur la maison natale.

Louis Spohr est issu d'une famille cultivée et musicienne. Son père, Karl Heinrich (1756-1843), médecin, est aussi flûtiste ; sa mère, Ernestine Henke (1763-1840), est chanteuse et pianiste amateur. Tous deux poussent l'enfant dans l'étude du violon, dès l'âge de cinq ans. Il est d'abord l'élève d'obscurs professeurs : du Français Dufour, puis de Kunisch et de Maucourt. Il étudiera également l'orgue. Spohr cultive aussi la peinture. Il eut six frères et une sœur.

Brunswick

À 15 ans, il entre dans l'orchestre ducal du duc Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick, puis, avec le soutien du duc, poursuit ses études avec le virtuose Franz Anton Eck (1774–1804) dans un voyage d'étude d'une année à Saint-Pétersbourg, lieu très prisé à l'époque par les compositeurs. Il y fait la connaissance de John Field et de Muzio Clementi, y écoute Ferdinand Fränzl (1802).

À partir de 1800, il écoute les opéras français issus de la Révolution, notamment Les deux journées ou le porteur d'eau de Cherubini, œuvre au succès constant jusqu'en 1830 ou 40. Toute cette musique, née pendant la Révolution ou La Terreur, contient nombres d'accents préromantiques importants pour la formation de ce courant musical, en devenir à l'époque.

Il découvre aussi parmi les violonistes de son époque, dont il adopte les principes, Viotti ainsi que ses élèves Kreutzer et surtout le français Pierre Rode qui est à l'origine de sa vocation. Spohr compose sa première œuvre importante, le concerto pour violon opus 1 (1803).

Il entreprend alors une tournée à travers toute l'Allemagne (Berlin, Dresde, Hambourg) où il est acclamé en tant que violoniste (1804), notamment à Leipzig le 10 décembre 1804 par le très influent critique de la revue La Grande Aveugle (Allgemeine musikalische Zeitung), Johann Friedrich Rochlitz (1769–1842). Ce dernier commente en ces termes la venue du virtuose-compositeur :

« Monsieur Spohr fait sans aucun doute partie des plus remarquables violonistes de notre temps, et particulièrement lorsqu'on considère sa jeunesse, ce qu'il réalise susciterait l'étonnement s'il était possible de passer du ravissement au froid étonnement . Ses concertos comptent parmi les plus beaux qui existent et aucun ne surpasse celui en ré mineur, que ce soit au niveau de l'invention, de l'âme et du charme, ou au niveau du sérieux et de la profondeur. Il penche avant tout vers la grandeur et l'exaltation dans une douce mélancolie. »

Gotha (1805-1812)

Dorette SpohrDorette Scheidler (Carl Gottlob Schmeidler)

De 1805 à 1812, Spohr occupe les postes de maître de chapelle à la cour ducale de Gotha, et de premier solo à l'Orchestre de Vienne. Le 2 février 1806 à Gotha, il épouse la harpiste (Dorothea Henriette dite) Dorette Scheidler (1787–20 novembre 1834), fille d'un chanteur de la cour, dont il aura trois filles – et un garçon mort en bas âge. Dès leur union, il voyage (et se produit en concert) avec elle à travers l'Europe en Italie (1816-1817), en Angleterre (1820) puis à Paris (1821), où il rencontre Cherubini.

C'est l'époque de la composition de sa Première symphonie, opus 20 (1811) qui reçut l'éloge de E.T.A. Hoffmann.

Il rejoint la loge maçonnique Ernst zum Compaß de Gotha.

Vienne (1813-1815)

gravure : Sporh en 1815Louis Spohr en 1815 (gravure anonyme).

De 1813 à 1815, Spohr devient chef de l'orchestre du prestigieux Theater an der Wien à Vienne. C'est l'époque de ses liens personnels avec Ludwig van Beethoven. Il participe notamment à la création de la Septième symphonie et de La Victoire de Wellington (concert du 8 décembre 1813 conduit par Beethoven). Spohr, dans son autobiographie rapporte le concert :

« C'est à ce concert que je vis pour la première fois Beethoven diriger, et j'en fut très surpris. Il avait l'habitude d'indiquer à l'orchestre les nuances qu'il désirait obtenir, par de curieux mouvement de tout son corps. Ainsi pour un sforzando, il écartait violemment les bras qu'il tenait auparavant croisés sur sa poitrine. Pour un piano, il abaissait parfois jusqu'à disparaître sous le pupitre. À un crescendo, il remontait graduellement jusqu'à atteindre le forte où il se tenait debout sur toute sa hauteur ; et sans s'en rendre compte, il lui arrivait parfois de crier !... Le malheur, c'est que sa surdité mettait souvent ses gestes en contradiction avec les nuances de l'exécution. Lorsqu'il s'en apercevait, il tâchait de deviner aux mouvements de l'archet de Schuppanzigh l'endroit où l'on était. »

C'est à cette époque qu'il compose quatre quatuors, ses deux premiers quintettes à cordes opus 33, son octuor et une cantate, Das befreite Deutschland (« L’Allemagne libérée »). Les œuvres sont commandées par Johann Tost, ancien violoniste de l'orchestre d'Esterháza où travaillait Haydn. Pour lui, Haydn écrivit ses quatuors op. 54, 55 et 64. Mozart lui-même avait reçu commande des quintettes KV. 593 et KV. 614.

Quand il composait une œuvre, Spohr, ne jouant que passablement du piano, allait immanquablement chez son ami Meyerbeer qui, au clavier, interprétait la partition à vue, tandis que Spohr chantait ou sifflait les parties chantées.

Faust

Son Faust, composé trois ans auparavant (mai à mi-septembre 1813), sur un livret de Joseph Carl Bernard (de) (1780-1850), fut créé le 1er septembre 1816 par son ami Carl Maria von Weber au théâtre des États de Prague. Le Singspiel avait été refusé à Vienne l'année précédente par le directeur du théâtre, le comte Ferdinand Pálffy von Erdöd, ce qui entraîna la démission de Spohr du Theater an der Wien.

On le considère comme le modèle de l'opéra romantique (avec ceux de Weber) et il eut lui-même pour modèle le Don Giovanni de Mozart (créé à Prague lui aussi) qui passait pour « l'œuvre d'art romantique la plus parfaite ». L'œuvre n'est pas tirée de la pièce de Gœthe dont la première partie seulement n'était parue qu'en 1808 (et la seconde en 1832), mais d'un livret inspiré du roman Fausts Leben, Thaten und Höllenfahrt (de) (Vie, actions et descente en enfer de Faust) paru en 1791, du poète Friedrich Maximilian Klinger, lui-même soutenu par le grand Gœthe. Klinger ne s'est inspiré de Gœthe que pour la scène des sorcières du Blocksberg.

La partition brosse un portrait sensible des émotions, et le chant autant que le drame sont passionnants. Certaines scènes (Blocksberg) inspirent à Spohr des sonorités féeriques qui seront reprises par Carl Loewe, Mendelssohn dans Le Songe d’une nuit d’été ou la Nuit de Walpurgis, et Weber dans Le Freischütz.

L'opéra ne connut que quelques représentations, le public viennois n'appréciant guère l'opéra allemand. L'œuvre fut jouée à Berlin en 1829, à Paris l'année suivante, et fit sa carrière surtout dans les pays germanophones.

gravure : SporhLouis Spohr.

À la demande de la reine d'Angleterre en 1852, Spohr remaniera sa partition en italien, transformera les dialogues en récitatifs et restructurera l'œuvre en trois actes au lieu de deux à l'origine. Ainsi remanié, il fut présenté comme grand opéra au Royal Italian Opera House, Covent Garden.

Faust est resté au répertoire jusqu'en 1883, parfois repris ponctuellement en concert par la suite.

Francfort (1817-1822)

Après avoir démissionné de son poste viennois, il fut nommé à l'opéra de Francfort dont il assura la direction de 1817 à 1819. À cette occasion il reprit ses opéras, dont Faust (15 mars 1818) y ajoutant, au premier acte, un récitatif et une aria pour Faust.

Il monte aussi des opéras de Rossini. Si Spohr avoue ne pas aimer les Italiens, il intègre quelques italianismes à ses productions vocales de l'époque, notamment Zémire et Azor sur un livret de Marmontel qu'avait déjà mis en musique Grétry., Il en rend compte dans ses Mémoires :

« Si peu que j'admire la musique de Rossini, le succès que Tancrède avait remporté à Francfort ne fut pas tout à fait sans influencer le style de mon nouvel opéra… C'est ce qui explique que la musique de Zémire et Azor ait tant de coloratures et d'ornements vocaux. »

En 1820 il se produisit à Londres, lors de la première de ses six visites en Angleterre, en tant que chef d'orchestre et soliste. Durant les quatre mois de son séjour, il écrivit sa Seconde symphonie opus 49, à l'influence haydnienne.

Cassel (1822-1859)

peinture : Spohr par Johann August NahlLouis Spohr en 1824 à Cassel. Huile sur toile du peintre suisse Johann August Nahl le jeune (1752–1825).

Entre 1822 à 1857, il fut nommé Hofkapellmeister à vie, à la cour de l'Électeur de Hesse-Cassel, sur la recommandation de Weber qui avait refusé ce poste. Il y dirigea, entre autres, des œuvres de Richard Wagner, monta Le Vaisseau fantôme en 1843, et Tannhäuser en 1853. Avec un chœur spécialisé dans l'interprétation de la musique ancienne « Cäcilien-Verein » (La Société Sainte-Cécile), que Spohr avait constitué dès son arrivée à Cassel, il se livra à une étude systématique des œuvres de Bach, donnant la Passion selon saint Matthieu à de multiples reprises, ainsi que des œuvres à plusieurs chœurs de Leonardo Leo (1694-1744), Gregorio Allegri (1582-1652) et Antonio Lotti.

Pendant toute cette période de Cassel, jusqu'à la fin de sa vie, chaque hiver, il organisa un festival de concerts de musique de chambre où se jouèrent ses propres quatuors et quintettes, les grands classiques, et ceux de Fesca et de George Onslow.

« Jessonda »

C'est à Cassel pour le 46e anniversaire du prince Guillaume, en 1823, que fut créé Jessonda dont l'action se situe à Malabar. L'opéra est créé à Leipzig l'année suivante. L'œuvre, inaugurant une mise en musique continue, comme à la même époque, l’Euryanthe de Weber, peut être considérée comme son chef-d'œuvre dramatique. Elle fut admirée par Wagner, Johannes Brahms ou Antonin Dvořák et resta au répertoire jusqu'en 1914.

Spohr est toujours inspiré par Mozart : on retrouve notamment des éléments de l’Enlèvement au Sérail. La création fut accompagnée d'un article-manifeste « où il appela ses confrères à cultiver la forme « durchkomponiert » (intégration de l'architecture musico-dramatique) », terme qui désigne l'orchestration entière de l'opéra.

L'air de l'Héroïne au premier acte, Bald bin ich ein Geist geworden, alors qu'elle attend la mort sur le bûcher est empreint de renoncement et de paix intérieure, et est sans doute un des moments les plus pathétiques de l'opéra romantique naissant.

Maturité et reconnaissance

Après la mort de Carl Maria von Weber en 1826, et de Ludwig van Beethoven en 1827, Spohr devint pour ses contemporains le compositeur le plus important du moment. C'est alors qu'il renoua avec le genre symphonique avec la composition de sa Troisième symphonie opus 78, l'une des œuvres les plus appréciées et jouées de son temps, mais vite oubliée ensuite. Le mouvement lent est « l'un des plus grands moments du romantisme musical ».

photo : SpohrLouis Spohr, daguerréotype

Ayant perdu sa femme Dorette en 1834 après vingt-huit ans de mariage, il épousa la pianiste Marianne Pfeiffer (1807-1892), âgée de vingt-neuf ans, le 3 janvier 1836 à Cassel. En juin 1838, il perdit Thérese, une de ses filles, âgée de dix-neuf ans. Ces évènements tragiques entraînèrent un ralentissement de sa production, sauf dans le domaine du lied. Son remariage favorisera la naissance d'œuvres de chambre avec piano. De la même année (1838) date sa rencontre avec Robert Schumann à Leipzig.

En 1844, à Brunswick un festival lui est dédié, et pour sa vingt-cinquième année de travail à la cour, il est fait Generalmusikdirector.

En 1847, il compose pour Londres sa Huitième symphonie opus 137 et en avril 1850, âgé de 66 ans, il achève sa dernière Symphonie, intitulée Les Saisons opus 143. Une dixième restera inachevée.

Spohr était un démocrate convaincu, à l'esprit républicain. Il avait salué la révolution de 1848 sur ses manuscrits ou son catalogue : Au temps de la glorieuse révolution populaire, pour le réveil de la liberté, de l'union et de la grandeur de l'Allemagne, dit-il en face de son grand sextuor à cordes opus 140. En 1848, il se rendit à Cassel et Francfort pour discuter avec les députés de l'Assemblée Nationale notamment le poète Ernst Moritz Arndt et le président du Parlement Heinrich von Gagern. Mais toute sa vie, il s'était engagé en faveur des droits des citoyens et contre le despotisme des souverains.

C'est contre son gré qu'en décembre 1857 il est mis à la retraite par le Prince Électeur de Hesse en raison de ses constants litiges avec la cour. À la même époque, une fracture du bras gauche l'empêche de jouer.

Vers 1857-59, il reçoit la visite d'un compositeur nommé Johannes Brahms, alors en séjour à Detmold.

Il meurt le 22 octobre 1859 à Cassel.

En 1860 et 1861 paraissent, à titre posthume, les deux volumes de son Selbstbiographie (Autobiographie), laquelle fut traduite en anglais et publiée dès 1865. L'auteur n'hésite pas à critiquer tout ce qu'il a entendu, et à rapporter nombre de tableaux de la société musicale de l'époque, et notamment le dernier Beethoven qu'il ne comprend pas.

L'œuvre

Pédagogique

Spohr eut une vie pédagogique intense puisqu'on lui a dénombré, paraît-il, cent quatre-vingt-sept élèves, provenant du monde entier, dont Ferdinand David (1810-1873), Bernhard Molique (1802-1869), Ole Bull (1810-1880), Norbert Burgmüller, Moritz Hauptmann (1792-1868), Johann Peter Emilius Hartmann, Fredrik Pacius, et August Wihelmj (1845-1908).

Ses principes étaient issus de la branche dite « Philanthropistes » ou aussi réforme pédagogique de Basedow, qui insistait sur la nécessité pour les élèves de s'ouvrir, non seulement sur la pratique de l'instrument ou la connaissance de la musique, mais aussi s'adonner à l'apprentissage des langues, pratiquer la culture physique, visiter les expositions d'art...

Il publia une méthode de violon, Violinschule (éd. Tobias Haslinger, Vienne 1832), traduite en France par Heller, vers 1840, éd. Richault.

On peut le considérer comme une sorte d'antithèse de Niccolò Paganini pour qui il avait une grande admiration. Il a cependant parfois joué en duo avec lui, contrairement à nombre de ses contemporains . Dans ses compositions, il refusa les excès de virtuosité, renonçant par exemple au rebond de l'archet sur les cordes.

Vers 1820, il inventa la mentonnière pour répondre aux exigences de la virtuosité croissante du répertoire. La main gauche étant plus libre de ses mouvements et l'instrument plus stable. En 1833 il décrit cette invention pour le grand public dans sa Violinschule (Méthode pour le violon) que lui et ces élèves avaient utilisés avec succès depuis plus de 10 années.

Spohr a aussi légué à la postérité les lettres de repères sur les partitions pour faciliter les répétitions d'orchestre, ainsi que la baguette de direction moderne. Dans son autobiographie on peut lire la découverte de l'innovante technique de direction, qu'il imposa en 1820, lors de son premier voyage à Londres :

« Il était alors encore d'usage pour le pianiste, dans les symphonies et les ouvertures, d'avoir la partition devant lui, non pas pour diriger à partir d'elle, mais seulement pour suivre et pour jouer à son gré avec l'orchestre, ce qui lorsqu'on l'entendait, était d'un effet tout à fait déplorable. Le chef véritable était le premier violon, qui donnait les tempos et qui, de temps à autre, lorsque l'orchestre commençait à fléchir, indiquait la mesure avec l'archet. J'étais décidé lorsque ce serait mon tour de diriger, à essayer de remédier à cette situation navrante. Je me plaçai avec la partition sur un pupitre spécial devant l'orchestre, tirai ma baguette de la poche et fis signe de commencer. Très effrayés par une telle innovation, certains des directeurs voulurent protester là contre ; mais lorsque je les priai de m'accorder au moins un essai, ils se calmèrent. Contraints ainsi à une attention inhabituelle, et dirigés avec assurance au moyen d'une battue visible, tous jouèrent avec une fougue et une exactitude qu'on ne leur avait jamais entendues. Surpris et enflammé par ce succès, l'orchestre fit connaître aussitôt après la première partie de la symphonie son assentiment collectif à ce nouveau mode de direction. Le triomphe de la baguette fut incontestable, et depuis lors on ne voit plus personne assis au piano pendant les symphonies et les ouvertures. »

Musicale

partition et signature de SpohrAutographe et signature de Spohr

Spohr est l'un des principaux représentant de la tradition classique finissante. Il est le maillon entre la symphonie classique et la symphonie romantique, un fidèle continuateur de la symphonie haydnienne par son sens de l'économie des motifs et des proportions heureuses entre matériel thématique et développement. Malgré un conservatisme dans la forme et un style somme toute très proche de Mendelssohn, il s'avéra très fécond, doué et habile dans tous les domaines. Il cultiva une tendance aux expérimentations de combinaisons rares d'instruments : lieder avec violon ou clarinette, doubles quatuors, une symphonie pour deux orchestres, et même un concerto pour quatuor à cordes... Ses recherches sur le chromatisme, dont il abusa dans la dernière partie de sa vie furent critiquées par les plus grands de ses contemporains, dont Beethoven et Schumann qui résument leur sentiment sur cette tendance :

« Spohr est trop riche dans ses dissonances ; le plaisir qu'on prend à sa musique est gâché par sa mélodie chromatique. »

— Beethoven

« Spohr est un mollusque, mais c'est un noble mollusque ! »

— Schumann

Ami de Weber, côtoyant Wagner, Liszt et Berlioz, il ne possédait toutefois pas leur énergie, leur inventivité ni leur inspiration. Jouissant de son vivant de notoriété dans toute l'Europe (mais pas en France), aussi bien en tant que virtuose, pédagogue ou compositeur, il restera néanmoins aux limites d'un discours d'expression mélodique, davantage que la description romantique des sentiments. Ceci le classe comme représentant musical du style Biedermeier.

Son modèle reste d'abord celui du Wolfgang Amadeus Mozart de la Flûte, puis de Franz Schubert et des premières œuvres de Ludwig van Beethoven. Il rejettera ce dernier dès le Quatuor op. 59, les 5e et 7e Symphonie bien qu'il ait continué à interpréter et à diriger ces œuvres. Il n'hésita pas à écrire dans ses Mémoires :

« Dans la Neuvième Symphonie, je vois une nouvelle preuve à l’appui de cette idée, qu'il manquait à Beethoven, une imagination esthétique et le sens de la beauté. »

Compositeur des plus adulés et célébrés de son vivant, il est presque entièrement délaissé après sa disparition, balayé par les nouvelles idées du romantisme, sauf en Angleterre : pendant tout le XIXe siècle il y est si populaire que Gilbert et Sullivan le citent à l'instar de Bach et de Beethoven dans l'acte 2 du Mikado (1885)... Même si à la même époque, l'écrivain et critique musical Bernard Shaw rend compte d'une critique corrosive :

« Tout allait pour le mieux, jusqu'au moment où l'on offrit un sacrifice au pseudo-classicisme sous la forme d'un insipide trio de Spohr — du Mozart allongé d'eau, comme d'habitude. »

Nous pouvons apprécier la richesse émotionnelle et l'infaillible qualité technique de cette musique, qui fut certes éclipsée par d'autres génies de son temps (Paganini, Berlioz, Liszt, Mendelssohn, Wagner...), mais résiste fort bien à une quête d'originalité; Spohr, profondément personnel, n'est en rien un épigone. Sans doute lui manque-t-il un rien d'intensité spirituelle et d'émotion, mais sa musique est brillante, pleine de charme et d'invention mélodique.

Depuis 1954, il existe un prix Spohr (Louis Spohr Musikpreis) décerné à des compositeurs de tous pays. Il est doté de 10 000 €.

Catalogue des œuvres

Spohr a composé plus de 270 œuvres, réparties dans un catalogue d'opus (plus de 150) et un catalogue d'œuvres sans numéro WoO.

Concertos ou œuvres concertantes

Concertos pour violon Autres œuvres avec violon Concertos pour clarinette Autres œuvres avec clarinette

Œuvres pour orchestre

Symphonies Marches et ouvertures

Musique de chambre

Harpe seule Duos violon et harpe Trio avec harpe Duos avec violon Duos violon et piano Trios Violon et trio à cordes Quatuors à cordes Quintettes à cordes Autres œuvres de chambre

Lieder

Spohr a composé environ cent lieder.

Avec opus

Fichiers audio
1. Sei Still Mein Herz
noicon
2. Zwiegesang
noicon
3. Sehnsucht
noicon
4. Wiegenlied
noicon
5. Das Heimliche Lied
noicon
6. Wach auf!
noiconSix Lieder allemands, op. 103pour voix, clarinette & piano (1837).
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Lieder sans opus

Œuvres pour la scène

Opéras Autres œuvres pour le théâtre

Oratorios

Psaumes - Hymnes

Messe

Arrangements

Œuvres perdues

Œuvres d'autres compositeurs inspirés par Spohr

Hommages

L'astéroïde (7625) Louisspohr est nommé en son honneur.

Annexes

Discographie sélective

Concertos

Musique pour orchestre

Musique de chambre

Lieder

Chœur a cappella

Musique Sacrée

Opéras

Éditions

Bibliographie

Notes et références

  1. Localisation.
  2. Marc Pincherle, Le Violon, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? » (no 1196), 1966, 128 p. (OCLC 9156079), p. 95
  3. Cette rencontre se situe dans les premiers mois de son voyage à Saint-Pétersbourg. Dans son autobiographie il donne de jolis détails sur le compositeur irlandais (qui s'installa dans la capitale russe ensuite, et pour ses trente dernières années) : « Je garde encore en mémoire l'image d'un jeune homme pâle, qui aurait trop grandi et que je n'ai jamais revu. Lorsque Field, qui portait des vêtements devenus trop petits, étendait ses longs bras vers le clavier de sorte que ses manches lui remontaient presque jusqu'au coude, alors tout le personnage paraissait d'une gaucherie très anglaise ; mais dès qu'on entendait son jeu inspiré, on oubliait cela et on était tout ouïe. »
  4. Le librettiste de l'opéra de Cherubini, Jean-Nicolas Bouilly (1763-1842), donna un autre texte a succès : Léonore, ou l'amour conjugal qu'adapta Beethoven pour son Fidelio. Beethoven et Goethe lui-même qualifiait Les deux journées comme l'un des meilleurs livrets jamais écrits.
  5. Il s'agit du deuxième concerto composé en 1804.
  6. Donné dans la salle de l'université de Vienne, ce concert fut exceptionnel, puisque les meilleurs musiciens de la capitale avaient été réquisitionnés : Salieri dirigeait les percussions et les canons, Moscheles les timbales et Meyerbeer (1791–1864) jouait la caisse claire, Hummel battait le tambour, Domenico Dragonetti (1763-1846) était première contrebasse, Schuppanzigh tenait le premier pupitre des violons et Andreas Romberg (1767–1821) y était aussi. Le concert comprenait aussi deux marches de Dussek et de Pleyel pour orgue mécanique. L' allegretto de la symphonie fut bissé et le concert redonné plusieurs fois le 12 décembre et en janvier et février 1814.
  7. Une œuvre éponyme, sous-titrée Opéra-féerie en quatre actes, avait été portée à la scène par Grétry en 1771. On le considère comme le chef-d'œuvre du compositeur liégeois. L'opéra de Grétry a été joué dans l'Europe entière, rencontrant un grand succès, et parfois donné en trois langues, successivement le même jour (flamand, allemand, français). À Londres l'œuvre fut jouée en italien. Mozart lui-même en possédait une copie. Le livret de Marmontel, très en vogue en Allemagne, fut repris par cinq autres compositeurs avant Spohr (1819) : Baumgarten (1775), Thomas Linley l'Ancien (1776), Meefe (1778), Tozzi (1792) et Seyfried (1818).
  8. Mémoires vol. II p. 62, cité in Léon Plantiga, La musique romantique Jean-Claude Lattès, 1989 p. 177.
  9. Plus tard il voulut monter Lohengrin, mais il en fut empêché.
  10. Après avoir été refusé par la cour en 1827, suivent les exécutions en 1832, 1833, 1836, 1843 et 1851. Mendelssohn avait dirigé la Passion pour la première fois, en 1835 à Leipzig.
  11. Wagner - qui avait entendu Jessonda à Dresde sous la direction de Weber - jouait souvent l'ouverture au piano et admirait le compositeur. Sa Fantaisie en fa mineur, composition de jeunesse pour piano dont il n'était pas mécontent, fut qualifiée plus tard par l'auteur de la Tétralogie, digne « d'un élève de Spohr » (Lettre à Cosima, 18 janvier 1878).
  12. Les nazis quant à eux mirent l'œuvre à l'index parce que le héros aime une princesse indienne...
  13. Kaminski 2003, p. 1432
  14. Michel Parouty
  15. Pendant la composition des dernières heures du Sauveur. La partition originale porte la date du 20 novembre 1834.
  16. À noter tout de même que, souffrante, Dorette avait été obligée d'interrompre sa carrière dès 1820 et qu'elle s'était produite à Gotha en 1810, au clavier dans les trois premiers concertos pour piano de Beethoven (Spohr y était premier violon), ce qui donne une idée de la virtuosité dont Dorette était capable... Le Quintette avec piano opus 52, de 1820, est sans doute la première œuvre de chambre avec piano née de cette situation.
  17. Article Encyclopédie Universalis et Pincherle 1966, p. 119.
  18. À partir de 1826 pour des leçons de composition.
  19. Violoniste compositeur et théoricien de l'harmonie, Moritz Hauptmann fut nommé Cantor de l'église Saint-Thomas de Leipzig sous la double recommandation de Spohr et de Mendelssohn. Il fit partie des membres fondateurs de la Bach Gesellschaft et en resta président jusqu'à sa mort.
  20. Comme élèves moins connus, on citera : Karl Ludvig Bargheer (1831-1902), Henry-Gambe Blagrove (1811-1872), Henry Holmes (1839-1905), Elise Mayer-Filippowicz (1794-1841), Hubert Ries (1802-1886) et Léon de Saint-Lubin (1805-1850). Source : Pincherle 1966.
  21. École ou méthode pour le violon lire en ligne sur Gallica.
  22. Invention de la mentonnière sur jstor.org (en langue allemande)
  23. On peut trouver dans l'ouvrage de Clive Brown, cité en bibliographie (p. 131), une lettre du 17 avril 1820 à Wilhelm Speyer (1790-1878), où il décrit avec le même esprit l'impasse dans laquelle se trouvait l'orchestre lorsque dépourvu direction (en français, consultez L'Art du chef d'orchestre, préface p. LI à LIII, hachette « Pluriel », 1988). Spohr raisonne sur le sujet presque cinquante ans avant Wagner Sur la direction (1869), premier ouvrage entièrement consacré au sujet, mais il faut convenir qu'une atmosphère de recherches communes régnait à l'époque (Berlioz, Liszt, Mendelssohn, etc.) l'effectif des orchestres augmentant autant que la complexité des œuvres.
  24. Cependant, si Spohr utilisa bien la baguette en répétition, ce qui fit sensation, violon sous le bras, il utilisa son archet pour diriger le concert...
  25. Michel Chion, La Symphonie à l'époque romantique de Beethoven à Mahler, Fayard 1994 p. 59
  26. Bernard Shaw, The World, 9 juillet 1890, in Écrits sur la musique, Robert Laffont p. 474.
  27. Page du Louis Spohr Musikpreis
  28. Plus proche de nous, il était très souvent joué par Jascha Heifetz et fut la première œuvre dirigée par Charles Munch (cf. "Je suis chef d'orchestre", 1954).
  29. Ce dernier opus naît la même année que le concerto op. 64 de Mendelssohn...
  30. Les concertos étaient écrit pour le grand soliste Johann Simon Hermstedt (1778-1846)
  31. Peter von Winter est maître de chapelle de l'Électeur de Bavière Charles-Théodore de 1776 à 1825. Das unterbrochene Opferfest fut un opéra très célèbre en son temps.
  32. Rappelons que sa femme était harpiste.
  33. Pour les textes voir : www.recmusic.org
  34. Friedrich Spohr, sauf erreur, est un oncle de Spohr. Voyez l'arbre généalogique de la famille.
  35. C'est-à-dire l'arpeggione, pour lequel Schubert écrivit en 1824 sa célèbre sonate à l'invitation de Schuzter. Voyez le disque Cavalli-Records CCD 242, qu'interprète Gerhart Darmstadt et Björn Colell et qui contient trois pièces de Schuzter.
  36. (en) « (7625) Louisspohr », dans Dictionary of Minor Planet Names, Springer, 2007 (ISBN 978-3-540-29925-7, DOI 10.1007/978-3-540-29925-7_6583, lire en ligne), p. 607–607
  37. Tous les instruments joués sont des Stradivarius. Pour l'anecdote, Spohr posséda pas moins de six Stradivarius. Un violon de 1718 qui porte son nom. Les deux Koempel de 1700 & 1718, le Bennett de 1718, le d'abord nommé "Cambridge" de 1725, rebaptisé ensuite du nom d'un des élèves de Spohr, Jean Joseph Bott (1826-1895) et le Tom Taylor de 1732, du nom de l'époux d'une soliste anglaise, Patricia Travers.
  38. School of Music, University of Leeds

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