Théâtre antique de Sabratha

Théâtre antique de SabrathaMur de scène, scène, pulpitum et orchestre.Présentation
Type Théâtre
Partie de Regio IV, Sabratha (d), Sabratha, Az Zaouiyah, site archéologique de Sabratha
Civilisation Rome antique
Style Romain
Construction Fin IIe ou début IIIe siècle
Hauteur 22 m
Patrimonialité Monument d'un site classé au patrimoine mondial en 1982
Monument classé au patrimoine mondial en péril en 2016
Localisation
Pays Drapeau de la Libye Libye
Province Afrique proconsulaire
Colonie romaine Sabratha
Coordonnées 32° 48′ 19″ N, 12° 29′ 06″ E
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Le théâtre antique de Sabratha est le théâtre romain de la cité antique de Sabratha en Afrique proconsulaire (devenue la moderne Tripolitaine), sur la côte méditerranéenne du nord-ouest de l'actuelle Libye. La date et les circonstances de sa construction sont indéterminées, comme celles de son abandon. Les archéologues ne peuvent qu’avancer des hypothèses approximatives, et situent sa construction vers la fin du IIe siècle ou au début du IIIe siècle. Après des siècles d’abandon, les fouilleurs redécouvrent la cité et son monument lors de l’occupation italienne de la Libye, au début du XXe siècle. Les travaux de dégagement et de restauration réalisés de 1927 à 1937 font du théâtre le monument le plus important du site de Sabratha, le théâtre le plus grand de l'Afrique romaine, et le plus spectaculaire du monde romain à double titre : la colonnade de son mur de scène est presque complètement reconstituée par une anastylose sur trois niveaux, et une exceptionnelle série de bas-reliefs orne la base de la scène (le pulpitum). Il pouvait accueillir environ 5 000 spectateurs et, dans son état restauré, il peut encore en contenir 1 500.

La période de la Seconde Guerre mondiale et de la monarchie libyenne mettent en sommeil l’intérêt pour Sabratha, qui revient avec le classement de ce site au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982, pour lequel le théâtre est un monument déterminant du dossier. Toutefois, la grave détérioration de la situation libyenne à partir de 2011 fait craindre pour la conservation du monument et de ses bas-reliefs, inquiétude constatée par l’inscription du site à la liste du patrimoine mondial en péril le 14 juillet 2016.

Histoire

plan de Sabratha antiquePlan schématique de Sabratha antique. Le théâtre est en 27

La construction du théâtre a été probablement effectuée à la demande de commanditaires privés. La date de construction, non connue de façon certaine, peut être située à la charnière des IIe et IIIe siècles apr. J.-C., période de grande prospérité de la province d'Afrique proconsulaire. L'archéologue Antonino Di Vita la place sous le règne de Commode (180-192) ou avec des réserves sous celui de Septime Sévère (193-211),.

Le théâtre fut vraisemblablement endommagé comme le reste de la ville lors des catastrophes naturelles qui frappèrent Sabratha, qu'Antonino Di Vita date entre 306 et 310, mais quelques inscriptions trouvées dans le théâtre indiquent qu'il servait encore au milieu du IVe siècle. Il fut à nouveau affecté par les séismes et tsunamis de 365 qui frappèrent la Méditerranée orientale. Abandonné après un incendie, dont témoignent les couches de cendre observées lors des fouilles, il fut occupé par des habitations privées, puis constitua une carrière de matériau de remploi lors de la réoccupation byzantine de l'Afrique au VIe siècle.

La Libye étant devenue une colonie italienne au début du XXe siècle, les archéologues italiens sont les initiateurs de la redécouverte du théâtre. À partir des années 1920, la propagande du régime fasciste soutient les recherches qui témoignent de l'ancienne présence romaine sur ce territoire et justifient la colonisation italienne comme un retour. La restauration des monuments les plus spectaculaires devient un objectif prioritaire. Quand Renato Bartoccini entreprend les fouilles du théâtre en 1927, ce n'est qu'un monticule de sable et de maçonnerie. Giacomo Guidi lui succède en 1928, et entreprend à partir de 1932 un minutieux travail de restauration du mur de scène, fondé sur l'étude des assises encore en place et des colonnes éparses retrouvées. La restauration achevée en 1937 par Giacomo Caputo redonne sa stature monumentale actuelle à l'édifice. Il est inauguré par Mussolini, qui achève sa tournée en Libye en assistant dans ce décor exceptionnel à la représentation d’Œdipe roi de Sophocle. En même temps, la création de la route côtière libyenne est commémorée par l'émission le 15 mars 1937 de timbres de la poste coloniale italienne figurant les gradins du théâtre derrière deux colonnes en premier plan.

La Seconde Guerre mondiale et l'après-guerre retardent jusqu'en 1959 la publication par l'italien Giacomo Caputo d'une monographie descriptive du théâtre.

L'ensemble du site archéologique est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1982, sur la base d'un rapport qui prend note de ses « monuments grandioses, dont le plus célèbre est le théâtre, avec les trois ordres de colonnes de son frons scenae ». Une timide ouverture du pays au tourisme à partir de 1993, accentuée en 2003 avec la levée de l'embargo aérien sur le pays, permet d'admirer Sabratha et son théâtre parmi les sites dits incontournables.

Menaces sur le site et le théâtre

Le théâtre est le monument emblématique du site archéologique de Sabratha, mais sa conservation est menacée : les pierres locales, de médiocre qualité, ne sont pas protégées par un enduit comme durant l'Antiquité et sont exposées à la corrosion des vents et des embruns chargés de sel, tandis que le tourisme à la fin du XXe siècle suscite le risque de vandalisme. Plus grave, la détérioration de la situation politique libyenne depuis 2011 suscite en 2014 l'inquiétude de l'UNESCO, face aux risques de trafic illicite d'objets du patrimoine archéologique. Plus récemment en 2015, le chef du service des Antiquités libyennes Ahmed Hassan s'alarme de possibles pillages et saccages des antiquités comme en Irak et en Syrie. Pour ces raisons, l'ensemble du site de Sabratha et son théâtre ont été inscrits le 14 juillet 2016 sur la liste du patrimoine mondial en péril.

Architecture

planPlan du théâtre.
Fs = Frons scaenae, Ph = portes des hôtes, Pr = portes royales,
Cl = coulisses, S = scène,
P = pulpitum,
V = vomitoire principal ou aditus maximus,
Cc = couloir de circulation, Cv = cavea, O = orchestra.

L'édifice, situé à l'est du forum et à proximité de la mer, est orienté de manière que les spectateurs soient face au nord, mais est sensiblement désaxé par rapport au plan régulier du quartier. Il est construit en grès extrait des carrières voisines, qui donne une couleur rougeâtre au monument restauré. Cette teinte n'est pas celle d'origine, car l'ensemble était revêtu de stuc, dont il subsiste des traces. La fondation repose sur un sol rocheux dont la légère dépression a été utilisée pour le creux de l’orchestra central. À la différence d'autres théâtres antiques qui profitent d'un flanc de colline pour appuyer leur structure, le théâtre antique de Sabratha prend assise sur un terrain plat, ce qui a obligé à construire un important bâti pour former la cavea.

Cavea

Extérieurement, la cavea semi-circulaire comportait trois étages d'arcades ; la restauration n'en a partiellement révélé que deux. Chaque étage est constitué d'une série d'arcades encadrées de pilastres doriques. Les arcades sont supportées par des piliers massifs en maçonnerie de blocage, décorés de pilastres corinthiens lisses. Les 24 arcades du premier niveau donnaient accès de part et d'autre de l'hémicycle à deux vomitoires (vomitoria) qui descendaient en pente douce vers l'orchestre, et à une galerie qui faisait le tour de la cavea d'un vomitoire à l'autre. Cette galerie desservait par 25 entrées voûtées le massif intérieur de la cavea : six entrées s'ouvraient sur les escaliers menant à la galerie supérieure qui elle-même desservait les 5 vomitoires d'accès aux gradins ; six autres entrées conduisaient à un couloir intérieur au niveau du sol, dont les extrémités reliaient les vomitoires latéraux. Enfin, les treize entrées restantes donnaient sur des pièces d'usage indéterminé, peut-être des locaux de service pour le matériel théâtral ou des salles destinées aux spectateurs.

Intérieurement, la cavea est classiquement divisée en trois niveaux ou maeniana : le niveau inférieur (ima cavea), en bon état, comporte 12 gradins, divisés en six secteurs rayonnants (cunei) par sept escaliers. Le deuxième niveau (media cavea) compte 7 gradins divisés en sept secteurs, accessibles par cinq vomitoires depuis le couloir semi-circulaire du premier étage. Le troisième niveau (summa cavea), qui a disparu et dont la hauteur devait égaler celle du mur de scène, devait comporter quinze gradins, en pierre ou peut-être en bois,.

Mur de scène

Le mur de scène (frons scænæ), haut de plus de 22 mètres et pratiquement restitué dans sa forme d'origine, est une des parties les plus remarquables du théâtre, résultat d'une anastylose sans équivalent pour les théâtres romains. Les archéologues ont retrouvé sur place la base du mur et la plupart des colonnes qui l'ornaient, et ont patiemment remis en place sur trois étages 96 colonnes, pour la plupart d'origine. La hauteur de chaque colonne permettait de déduire à quel étage elle se situait : 5,54 mètres pour le premier niveau, 4,90 mètres pour le second, 3,65 mètres pour le plus haut. Les colonnes du premier niveau sont en marbre pavonazzetto, importé de Phrygie, celles du second niveau en marbre blanc, le troisième niveau combine des colonnes en pavonazzetto et en granite. Quoique toutes d'ordre corinthien, elles montrent de nombreuses variantes d'aspect : colonnes lisses, colonnes cannelées verticalement ou en spirale, et même colonnes mixtes, cannelées sur les deux tiers du fût et lisses au-dessus. Si le remontage du décor en colonnades est apprécié par les spectateurs et la plupart des archéologues, la façade arrière, brute et inachevée, est jugée par certains archéologiquement peu crédible et d'un aspect peu heureux.

Selon l'architecture du théâtre romain préconisée par Vitruve, le mur de scène s'ouvre sur trois portes à doubles battants au fond de grandes absides semi-circulaires, avec au centre les portes royales (valvae regiae) larges de 1,95 mètre et réservées au rôle principal, et de part et d'autre les portes dites des étrangers ou des hôtes (valvae hospitales) de 1,37 mètre de largeur seulement, pour les personnages secondaires. Un avant-corps encadré de colonnes et prolongé sur toute la hauteur du mur précède chaque ouverture et lui confère un aspect monumental.

Ainsi constitué, le mur de scène constitue un décor fixe, aussi bien pour les scènes d'extérieur où il forme une rue bordée de colonnes que pour les scènes d'intérieur pour lesquelles il figure un palais.

Enfin, à l'instar du frons scænæ appartenant au théâtre antique d'Orange, celui du théâtre antique de Sabratha se révèle comme étant un exemple type de ceux issus des canons architecturaux d'Asie mineure et qui ont été ultérieurement développés, puis perfectionnés par les Romains.

Scène et orchestra

La scène mesure 42,70 mètres sur 8,55, pour 1,38 mètre de hauteur au-dessus de l'orchestre. Elle était couverte d'un plancher en bois, qui en accentuait la sonorité. Les acteurs y accédaient soit par les trois portes monumentales percées dans le mur de scène, soit depuis de grandes salles latérales servant de coulisses, par les portes dites « côté forum » et « côté campagne », équivalents des modernes côté cour et côté jardin. Ces salles communiquaient également avec le couloir semi-circulaire de la cavea. Elles étaient luxueusement dallées de marbre polychrome, et leurs murs étaient plaqués de marbre blanc. Des fragments de marbre trouvés par les archéologues ont été recollés sur la paroi.

Sous le plancher de la scène, une fosse au sol de terre battue (l’hyposcenium) était accessible par un escalier de service de onze marches. Des machinistes pouvaient se tenir debout dans ce sous-sol creusé de plus d'un mètre par rapport à l'orchestre et faire monter ou disparaître des éléments de décors ou des personnages grâce à des trappes ouvrant le plancher de scène. Un fossé étroit placé juste derrière le pulpitum servait à la manœuvre du rideau de scène. Une canalisation percée à travers le pulpitum drainait les eaux de pluie tombées sur l'orchestra et la cavea, et les collectait dans une fosse ménagée au centre du sous-sol. Une seconde canalisation de gros diamètre partait de cette fosse et passait sous le mur de scène, faisant office de déversoir et évitant l'inondation du sous-sol en cas de forte averse.

L’orchestra, espace semi-circulaire entre la scène et la cavea, est encore à peu près complètement recouvert de son dallage d'origine, en marbre importé du Proconnèse. Quatre gradins bas et larges étaient réservés aux sièges mobiles destinés aux notables. Ceux-ci accédaient directement à l’orchestra par les deux vomitoires latéraux (aditus maximi), terminés par des barrières représentant des dauphins sculptés. Une balustrade haute de 1,50 mètre entourait ces gradins réservés et les isolait de la cavea.

Pulpitum

Le pulpitum, petit mur qui sépare la scène de l'orchestre, est divisé alternativement en trois niches semi-circulaires, en correspondance des absides du mur de scène, et quatre niches rectangulaires. Chaque niche est bordée par de petites avancées avec une face plane encadrée de deux colonnettes. À chaque extrémité du pulpitum, un escalier de cinq marches, masqué par un muret, permet de passer de la scène à l'orchestre. Cette forme indentée par les niches est courante et se retrouve dans d'autres théâtres d'Afrique romaine, mais le pulpitum du théâtre antique de Sabratha offre après restauration une ornementation exceptionnelle. En effet, sa partie frontale est décorée de reliefs en ronde bosse de marbre blanc formant une série de tableaux qui ont été en grande partie reconstitués, et qui sont sans équivalent dans les autres théâtres romains,.

Vue d'ensemble du muret du pulpitumLe pulpitum, vue d'ensemble. Les chiffres renvoient aux descriptions ci-dessous

Les thèmes représentés ne forment pas une unité d'ensemble : certains évoquent les diverses formes de spectacles du théâtre à la mode romaine, tandis que le motif central est une allégorie politique, et des personnages mythologiques remplissent les intervalles. Les motifs représentées sont les suivants :

scène de mimeNiche 6 : scène de mime Niche 8 : allégeance de Sabratha à Rome Niche 12 : le jugement de Pâris

Dimensions générales

Les principales dimensions du théâtre sont les suivantes :

Notes et références

  1. (en) Lisea Galea, « The architecture and sculpture of the Roman theatres of Sabratha and Leptis Magna », academia,‎ 2016, page 3 (lire en ligne, consulté le 26 décembre 2016)En page 17 et suivantes, l'article comporte des plans ainsi que des clichés en noir et blanc du théâtre antique de Sabratha et de l'amphithéâtre de Leptis Magna. Les illustrations de Sabratha, une vingtaine environ, sont clairement identifiées dans les légendes.
  2. Lachaux 1970, p. 98.
  3. Polidori et al. 1998, p. 157.
  4. Polidori et al. 1998, p. 175.
  5. Polidori et al. 1998, p. 159.
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  7. Polidori et al. 1998, p. 167.
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  9. Lachaux 1970, p. 94.
  10. « Site archéologique de Sabratha », sur unesco.org.
  11. « Incontournables Libye », sur routard.com (consulté le 18 décembre 2016).
  12. Sintes 2004, p. 38.
  13. « La Directrice générale de l’UNESCO appelle toutes les parties à protéger le patrimoine culturel unique de la Libye », sur UNESCO, 18 novembre 2014 (consulté le 3 juin 2015).
  14. « Les Libyens craignent un "scénario irakien" pour leur patrimoine archéologique », sur slate.fr, 31 mars 2015 (consulté le 3 juin 2015).
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  22. Lachaux 1970, p. 99.
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  25. Sintes 2004, p. 29.
  26. Balty 1961, p. 325.
  27. Vitruve, De architectura, V, 6, 8.
  28. Sintes 2004, p. 77.
  29. (en) Pierre Grimal et G. Michael Woloch, « Figure 16 - The Scena of the Theater of Sabratha. », dans Pierre Grimal et G. Michael Woloch, Roman Cities, University of Wisconsin Press, 1983, 355 p. (lire en ligne), page 61.
  30. Polidori et al. 1998, p. 168.
  31. Lachaux 1970, p. 96.
  32. Cagnat 1931, p. 196.
  33. Cagnat 1931, p. 198.
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  35. Polidori et al. 1998, p. 176.
  36. Cagnat 1931, p. 197.
  37. Polidori et al. 1998, p. 178.
  38. Jean Taillardat, « Φιλότης, πίστις et foedus », Revue des études grecques, vol. 95, nos 450-451,‎ janvier-juin 1982, p. 3 (lire en ligne).
  39. Polidori et al. 1998, p. 177.

Annexes

Bibliographie

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Lien externe

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