Histoire des indiennes de coton en Europe

Apparence déplacer vers la barre latérale masquer Palempore aux magnolias. Toile de Jouy tendue sur un fauteuil.

L'histoire des indiennes de coton en Europe reflète l'ouverture aux produits nouveaux, importés d'Orient au XVIe siècle notamment via Marseille, puis copiés dans la Suisse et l'Alsace protestantes au siècle suivant, d'abord à la main et ensuite grâce aux premiers procédés d'impression sur textile.

Cette mécanisation et le goût du public pour des étoffes légères, gaies et colorées sont les présages de la révolution industrielle qui démarre vers la fin du XVIIIe siècle dans la région de Manchester avec les premiers entrepreneurs du coton britannique.

Cet événement majeur est précédée par une pré-révolution industrielle, en Suisse, puis en Alsace et en France, où les indiennes de coton permettent de créer des réseaux, de tester des technologies et d'accumuler des capitaux.

Naissent ainsi de grandes entreprises comme la Fabrique-Neuve de Cortaillod, DMC et la Manufacture Oberkampf dès le XVIIIe siècle.

La mode des "Indiennes" en Europe

Jugement en date du 23 août 1721 condamnant à l'incarcération Isabelle Champiron pour le commerce des toiles des Indes ("Indiennes").

À partir de 1660 l'Europe s'enthousiasma pour les textiles indiens. Leur usage dans l'ameublement et l'habillement s'imposa dans les milieux aisés et les "Indiennes" constituèrent jusqu'aux trois-quarts des marchandises en provenance de l'Inde. La raison de leur succès tient avant tout à la matière première dont ils étaient faits : le coton, jusque-là quasi inconnu en Europe, dont la finesse, la légèreté, le lavage aisé et le caractère hygiénique assurèrent le triomphe.

La deuxième raison du succès des "Indiennes" résidait dans l'emploi des techniques de peinture et surtout d'impression sur étoffe, dont l'Europe ignorait jusque-là le principe de fixation. Elles étaient peintes avec deux couleurs dominantes, le rouge, tiré de la racine de garance et le bleu, extrait de l'indigotier.

La folie pour les "Indiennes" fut telle en France qu'une prohibition en interdit le port, la vente et la fabrication entre 1686 et 1759. Le port de ces vêtements pouvait être puni de la peine des galères et leur vente pouvait conduire à la pendaison ; mais une contrebande active, alimentée en partie par les marins de la Compagnie des Indes approvisionna un marché clandestin et les "Indiennes" furent portées par toutes les élégantes, de la favorite du roi à la demoiselle de province.

La Compagnie des Indes fut autorisée à poursuivre son commerce des cotons blancs dans le royaume. Elle put continuer celui des cotons colorés et imprimés à la seule condition de les réexporter hors de France. C'est le marché africain qui lui fournit son débouché.

Origine et ouverture à l'Orient : le rôle des Arméniens de Marseille

Indienne, musée du textile de Wesserling, Alsace.

La communauté arménienne de Marseille, par ses liens avec l'Orient, est la première à importer des Indiennes et à initier des artisans locaux à leur reproduction, avec des peintures colorées.

Leur présence amène Jean-Baptiste Colbert à créer en 1669 le port franc de Marseille où des Arméniens dits les chofelins, ruinés par la chute de Candie, après l'échec de l'expédition de Candie, s’installent à sa demande, pour apprendre aux « maîtres cartiers » marseillais à peindre les cotonnades de façon différente : ils maîtrisent la technique des « indiennes de Masulipatnam », appelée aussi Machilipatnam.

Dès 1664, Colbert crée la Compagnie des Indes orientales. De Pondichéry et Calcutta, huit à dix vaisseaux chargés de tissus arrivent annuellement à Lorient. Une lettre de Colbert du 16 octobre 1671, adressée au Parlement de Provence, lui demande de donner protection aux marchands arméniens.

La grande époque du colbertisme s'achève ensuite et, dès 1672, Colbert entre en demi-disgrâce. Le commerce des indiennes se développe alors plutôt côté néerlandais et anglais.

Le développement de l'impression en Suisse puis en Alsace

Fabrique d'indiennes de Mrs. Gros Davillier Roman & Cie à Wesserling (du côté du couchant) : lithographie de Godefroy Engelmann, de la série Manufactures du Haut-Rhin, réalisée entre 1822 et 1825.

L'édit du 26 octobre 1686 prohibe l'entrée en France des toiles de coton, tout comme leur fabrication. Il vise à protéger les tisseurs de soie, laine, lin et chanvre. Mais de nombreux négociants et artisans huguenots, persécutés pour leur religion protestante dès le début des années 1680, s'exilent en Suisse, principalement à Genève puis Neuchâtel.

Les réfugiés huguenots Daniel Vasserot et Antoine Fazy, venus du Queyras, dans les Alpes françaises, créent ainsi à Genève les trois premières usines d'indiennes, entre 1690 et 1710. Il les écoulent en contrebande en France et en Angleterre où elles sont prohibées.

Les techniques d'impression sur bois gravé essaiment ensuite vers Neuchâtel, avec d'autres émigrés huguenots, et Glaris puis dans toute la Suisse. Le succès des indienneries suisses créé une dynamique économique suisse avec la création de banques comme celle de Jacques-Louis de Pourtalès en 1743 et la multiplication d'ateliers dans l'horlogerie artisanale ou pré-industrielle. Ainsi, vers 1785, environ 20 000 personnes travaillaient dans l'horlogerie à Genève, produisent 85000 montres par an, et 50000 montres étaient produites dans le Jura neuchâtelois avec les horlogers Jean Romilly, Henri-Louis Jaquet-Droz, Abraham Louis Perrelet, Jean-François Bautte. Des artisans réputés comme Daniel Jeanrichard (1672-1741) et Antoine Tavan s'y installent.

La fabrication d'indiennes gagne Mulhouse, alors ville alliée aux cantons suisses. C'est en 1746 que Samuel Koechlin (1719-1776) (grand père de Nicolas Koechlin) fonde la première manufacture d’indiennes de Mulhouse avec Jean-Henri Dollfus et Jean-Jacques Schmaltzer. Samuel Ryhiner, créateur d'une indiennerie dès 1716 à Bâle, a épousé une fille de Mulhouse, qui devient la première capitale européenne du coton, avant Manchester. La ville compte quinze manufactures d'indiennes dès 1768 et contrôle deux-tiers de la production de l'ensemble France-Alsace dès 1786.

Alors que Bâle devient le centre d'expertise des indiennes bleues grâce à l'indigo importé des Antilles, la ville alsacienne d'Haguenau devient la capitale de la garance, qui sert à teindre les indiennes en rouge. La croissance de la population d’Alsace peut être en partie expliquée par ce développement technique : le nombre d'habitants progresse de 170 % en 82 ans, passant de 257 000 habitants en 1697 à 670 000 en 1789.

Une production complexe, clandestine, installée en France par des Suisses

Toute l'Alsace ne fait pas encore partie de la France et les Suisses décident d'aller plus à l'ouest, sur le royaume de France, pour y trouver de nouveaux marchés.

Il faut attendre 1759 pour que des arrêts du Conseil d'État légalisent les indiennes. Ce sont des protestants suisses qui organisent les quatre principales implantations en France, illégalement en 1746 à Marseille, 1754 à Nantes et 1756, près de Bolbec et Rouen en Normandie. Puis légalement, en région parisienne, où en 1760 la toile de Jouy est implantée par des élèves du Bâlois Samuel Ryhiner, et également en 1774, lorsque les Japuis fondent leur manufacture de toiles peintes à Claye-Souilly.

La fabrication d'indiennes est en effet un procédé industriel complexe pour l'époque, qui nécessite une réflexion et une gestion serrée du processus, avec de multiples étapes, dont le lavage à plusieurs reprises des toiles.

La Normandie devient un grand centre de production et la France bientôt un pays de la culture de coton brut, qui s'implante à côté de celle du sucre dans la colonie de Saint-Domingue à partir de 1740, pour approvisionner les fabriques. Moins rentable que le sucre, le coton trouve cependant vite un marché en forte croissance, en particulier lorsque les britanniques vont mécaniser leur industrie textile par une série d'inventions, ce qui dope la demande de coton brut.

Une influence sur la révolution industrielle britannique

Si les historiens s'accordent à dire que la révolution industrielle fut l'œuvre des premiers entrepreneurs du coton britannique, les fabriques suisses, alsaciennes et françaises ont créé en quelques décennies une habitude de consommation chez une partie de la population en Europe.

Cette demande donne un coup d'accélérateur à la culture du coton, qui gagne les plantations du Nouveau-Monde en 1740. Le terrain est prêt pour cette révolution industrielle, dont l'Europe continentale profite finalement moins que les britanniques, qui s'imposent sur le marché mondial dès les années 1780 grâce à des innovations techniques.

La phase de mécanisation industrielle

Les traits spécifiques à l'indiennage s'estompent très progressivement au XIXe siècle lorsque se généralisent peu à peu les grandes usines mécanisées, équipées de machines coûteuses, dans plusieurs pays d'Europe. L'historien Serge Chassagne a mis en lumière une mutation sociale, le profil des patrons changeant alors progressivement, pour laisser place à des héritiers. L'historien délimite à « 1760 à 1785 », ce qu'il appelle le « temps des indiennes », sous forme de proto-fabriques. Il distingue une deuxième époque, de 1785 à 1815, marquée par les guerres napoléoniennes et les révolutions (américaine, française, haïtienne), au cours de laquelle les producteurs s'équipent progressivement en machines anglaises à filer et au cours de laquelle le tissage reste dispersé. Après 1815, le maintien de tarifs douaniers protectionnistes et le retour de la paix donnent aux industriels la visibilité suffisante pour investir dans la mécanisation du tissage comme dans celle du filage.

Considéré comme un « manuel d'archéologie industrielle », le livre décrit l'évolution de la mécanisation « qui débuta par les petites machines à bras », puis passa par les Mule-jenny, cardes, machines à retordre de Jacques de Vaucanson (1709-1782), calandres des indienneurs, machines à bras d'égrenage. Il cite les principaux industriels anglais du coton de la deuxième période comme étant Holker, Milne, McLeod, Flint, Foxlow et White. En France, elle voit apparaître Jean-Pierre Duport (1749-1820) et Louis Alexis Jumel, respectivement fondateurs de la Manufacture de coton d'Annecy et de la Manufacture de coton de Cluses. Cette deuxième période voit l'émergence des hommes « issus du négoce » et la troisième, après 1815, la montée en puissance des héritiers, en raison du capital nécessaire, 34 % des industriels cotonniers établis entre 1815 et 1840 étant eux-mêmes fils d'industriels. Côté administration française, Philibert Trudaine de Montigny (1733-1777) a encouragé la diffusion des machines anglaises alors que Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) a eu tendance à sous-estimer la concurrence britannique.

Chronologie de la pénétration en Europe et de la création de fabriques

Notes et références

  1. Notice d'information du Musée de la Compagnie des Indes
  2. « Colbert et les Arméniens », sur globalarmenianheritage-adic.fr.
  3. Musée de Marseille, Les belles de mai : Deux siècles de mode à Marseille : Collections textiles du Musée du Vieux-Marseille (XVIIIe – XIXe siècles), Marseille, Alors Hors Du Temps, 2002, 187 p. (ISBN 978-2-9517932-1-7, lire en ligne), p. 35.
  4. Hans Bauer et Louis H. Mottet, Les Grandes heures des banquiers suisses.
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  7. « Horlogerie Suisse,montres suisses,annuaire horloger,emploi horlogerie,l'actualité des montres suisse, montre de haute-horlogerie », sur Horlogerie Suisse.
  8. "Le coton et ses patrons: France, 1760-1840", par Serge Chassagne.
  9. "Le coton et ses patrons: France, 1760-1840", par Serge Chassagne, page 526.
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  33. « Cotton weaves rich, colourful Swiss history ».

Annexes

Bibliographie

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Articles connexes